Le présent article débute avec l’interview de Sophie de Peyret et se poursuit par l’exposé de 35 propositions constituant le « temps des solutions ».
1) Interview par le magazine « Causeur ».
Votre rapport « L’islam en France : le temps des solutions » liste 35 propositions. Globalement, identifiez-vous un problème d’intégration ou un problème spécifique à l’islam en tant que religion ? http://institut-thomas-more.org/2019/11/06/18644/
Sophie de Peyret. Une chose est sûre : il y a un problème d’intégration. Et ce problème est particulièrement prégnant pour ce qui est des musulmans. En un sens, je les remercie de nous mettre au pied du mur. C’est parce qu’ils nous lancent un défi que l’Etat français va être obligé de se positionner et de dire clairement quel modèle il veut : une vraie intégration ou une société où chacun vit côte à côte. Ce défi aurait pu être lancé par n’importe quelle idéologie, religion, ou communauté, il s’avère que c’est l’islam. A nous d’y répondre.
L’alternative est simple : creuset ou multiculturalisme. Vous entendez inscrire une définition précise de la laïcité dans le droit français. Laquelle ?
Tout le monde a le mot laïcité à la bouche. Cela suscite débats et polémiques. On peut dire sur quoi la laïcité repose, ce qu’elle est censée garantir mais il n’y a pas de définition précise de la laïcité, notamment en termes juridiques. Il y a un siècle, tout le monde s’accordait sur une définition implicite de la laïcité. Ce n’était pas une négation du religieux mais une articulation du temporel et du spirituel. Même le plus laïcard se reconnaissait dans le socle chrétien et les républicains aussi fêtaient Noël. Avec l’apparition de l’islam sur le territoire national, l’implicite a vraiment besoin d’être explicité. Je propose donc de définir la laïcité comme le « principe de séparation de la société civile et de la société religieuse dans le respect des racines chrétiennes et des coutumes nationales, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique ».
Cette référence aux « racines chrétiennes » ne risque-t-elle pas d’exacerber les tensions en étant perçue comme un message d’exclusion des autres confessions ?
Cela fera peut-être grincer quelques dents mais le seul moyen de sortir des polémiques sur la laïcité est de l’adosser à un enracinement culturel qui fait la France. Je ne vois pas en quoi dire qui nous sommes porte préjudice aux autres. Ce n’est pas attaquer les musulmans que de dire ce qu’est la France.
Dans cet esprit, autoriserez-vous le port du voile dans la rue, lors des sorties scolaires, à l’université ?
Je suis favorable à ce que le port du voile reste autorisé dans la rue. Les femmes qui revendiquent le droit de le porter dans la rue le font au nom de la liberté d’exprimer leur religion. Le revers de cette liberté, c’est que les autres ont le droit de critiquer cette religion. Une femme libre de porter son voile doit admettre la liberté de critiquer son choix et sa religion. Inversement, si on enlève un bout de liberté, il faut enlever son pendant. Or, je suis contre le retour du délit de blasphème malgré tout ce que la critique a de douloureux à entendre.
En revanche, il faut encadrer le port du voile quand les circonstances l’exigent, comme lors des sorties scolaires, des contrôles d’identité. C’est d’ailleurs déjà plus ou moins le cas : on ne peut pas participer à un jury d’assises en étant voilée.
Si vous interdisez tout financement public direct ou indirect dans la construction de mosquées, faut-il réformer le marché du hallal aujourd’hui monopolisé par les mosquées d’Évry, Lyon et Paris comme le propose Hakim El Karoui ?
Ce n’est pas à l’État de s’immiscer dans la perception d’une taxe religieuse dont les contours sont incertains et contestés. Les musulmans ne sont pas d’accord entre eux sur les frontières entre hallal et non-hallal. L’étourdissement avant abattage est contesté par certains musulmans. Des pays à majorité musulmane comme l’Indonésie étourdissent les animaux avant abattage et considèrent cette pratique comme hallal.
Plus globalement, ce qui me gêne dans le rapport Karoui, c’est qu’il prend le problème essentiellement par le volet économique. Or, les structures musulmanes ne manquent pas d’argent. Seulement, cet argent est mal géré.
Karoui entend justement utiliser l’argent comme un levier politique : mieux allouer les ressources permettrait de favoriser ou débrancher tel ou tel acteur.
J’accorde le bénéfice du doute à Hakim El Karoui mais je ne crois pas au projet qu’il essaie de mettre en place. La pérennité d’une structure nationale telle que le CFCM est compromise. Avec le projet el Karoui, les mêmes têtes d’affiche qui ne représentent qu’elles-mêmes – ou qu’un courant – ont toutes les chances de rester aux manettes. Je ne suis pas sûre que les musulmans eux-mêmes se reconnaissent dans les noms sortis du chapeau. Par essence, le culte musulman n’est pas structuré de manière hiérarchique ou verticale. Le côté très centralisé des projets en train de se monter ne marchera pas. Ce qui fonctionne, ce sont les relations interpersonnelles, les petites communautés, les associations. C’est sur cette base locale qu’il faut miser pour faire émerger une élite musulmane.
Cela ne risque-t-il pas de favoriser certains courants obscurantistes très implantés localement ?
Il faut faire en sorte que les associations noyautées par les Frères musulmans ou des courants encore plus extrémistes soient désavantagées. Des mairies coupent les subventions aux associations de sport noyautées et cela marche très bien. Plutôt que de les interdire, il faut les défavoriser suffisamment pour qu’elles périclitent. Techniquement, une préfecture peut charger un délégué de faire le lien avec les associations locales. C’est beaucoup plus efficace qu’un système centralisé.
A quoi servirait la « police des cultes » que vous appelez de vos vœux ?
En cas de trouble à l’ordre public, d’incitations à la haine ou de prêches qui ne sont pas en français, l’Etat doit faire savoir que c’est inadmissible. Un prêche en français permet au moins aux agents de l’État, qui ne sont pas tous arabophones ou turcophones, d’en contrôler le propos.
D’après l’imam nîmois Hocine Drouiche, 90% des 6000 imams de France ne sont pas diplômés en théologie. Faudrait-il favoriser la formation, par exemple via un Institut à Strasbourg pour bénéficier des avantages du Concordat, comme le propose la Fondation de l’islam de France ?
Non. L’État n’est pas théologien, ce n’est pas son rôle de dire quel est le bon et le mauvais islam. Je ne crois pas que l’exception d’Alsace-Moselle doive devenir la règle. Ce que doit faire l’État, c’est agir sur les conséquences sociales de telle ou telle pratique, indépendamment de toute considération théologique.
Dans votre rapport, vous éludez un problème : il n’y a que 200 professeurs d’arabe en France. Le CAPES d’arabe est très fermé, avec deux ou trois professeurs recrutés à chaque concours, ce qui favorise les écoles coraniques. Ne faudrait-il pas augmenter ce numerus clausus?
Le succès des écoles coraniques n’est pas dû aux manques de professeurs d’arabe dans l’éducation nationale. Les enfants qui y vont veulent précisément apprendre l’arabe coranique, pas forcément l’arabe du quotidien. Qu’on passe l’arabe au bac ne me pose aucun problème. Mais l’intégration ne passe pas par l’apprentissage de l’arabe en école primaire. Le meilleur service à rendre aux enfants d’immigrés est de leur apprendre le français plutôt que de les maintenir dans leur langue d’origine.
2) A suivre l’intégralité du rapport
Institut Thomas MORE
RAPPORT « l’Islam en France, le temps des solutions » par Sophie de PEYRET
Laïcité, voile, burqini, financement des mosquées, prêches radicaux, sorties scolaires, cantines, radicalisation dans les services publics, liberté de conscience et d’expression, revendications communautaristes : année après année, mois après mois, semaine après semaine, le « problème de l’islam » grandit en France sans qu’aucune réponse forte y soit apportée. Car oui, la France a un problème avec l’islam, qu’il est temps de regarder sans fard ni faux-fuyants. Telle est l’ambition de ce rapport : nommer ce qui ne va pas et proposer des pistes d’action simples, fortes et efficaces. Pour cela, il formule 35 propositions pour agir maintenant sur cinq axes.
AXE 1 En finir avec les débats sur la laïcité
Bien des questions liées à l’islam se cristallisent autour du principe de la laïcité et de la loi de 1905. Or, le problème est double : la laïcité n’est nulle part définie clairement dans le droit français (ce qui conduit à une guerre des interprétations sans fin) et la pensée musulmane peine à appréhender la laïcité, étrangère à sa tradition. Voilà pourquoi nous proposons de clarifier les positions en proposant une définition explicite de la laïcité et en rendant cette définition juridiquement contraignante.
Proposition1 Définir explicitement la laïcité française comme le principe de séparation de la société civile et de la société religieuse dans le respect des racines chrétiennes et des coutumes nationales, l’État n’exerçant aucun pouvoir religieux et les Églises aucun pouvoir politique
Proposition2 Donner à la définition nouvelle de la laïcité une valeur constitutionnelle en l’inscrivant dans une loi organique.
Axe 2 Renforcer et appliquer le droit
La France n’est pas désarmée devant les difficultés liées à l’islam et, surtout, les revendications communautaristes de certains. Elle dispose d’un appareil juridique qu’il lui suffit d’appliquer avec fermeté et d’amender à certains égards. A commencer par la loi de 1905 qu’il convient de respecter strictement. S’il existe effectivement certains points d’incompatibilité entre l’islam et la loi de 1905, ce n’est pas à elle de s’adapter. Par ailleurs, pour un certain nombre de difficultés concrètes (financement des lieux de culte, cantines scolaires, contrôle des prêches, abattage rituel, contournements du droit), il est temps d’appliquer et de faire respecter le droit déjà existant. L’État doit en outre renforcer ses moyens d’action et d’analyse pour anticiper certaines failles habilement exploitées.
Proposition3 Refuser toute modification de la loi de 1905
Proposition4 Contrôler l’origine et l’affectation du financement des lieux de culte, qu’il soit régi par la loi de 1901 ou celle de 1905, en lui interdisant toute subvention publique (directe ou indirecte) et en l’obligeant à faire certifier et rendre publics ses comptes
Proposition 5 Interdire les menus confessionnels à l’école
Proposition 6 Abroger les dérogations relatives aux aménagements du temps scolaire
Proposition 7 Autoriser l’assouplissement du choix des jours chômés en entreprise
Proposition 8 Affecter des effectifs spécifiques à la police des cultes
Proposition 9 Contrôler les prêches afin de s’assurer qu’ils sont conformes aux règles de droit commun et qu’ils sont prononcés en français.
Proposition 10 Imposer l’étourdissement des animaux avant abattage
Proposition 11 Surveiller étroitement le respect des dispositions relatives au droit de la famille afin de protéger les personnes les plus vulnérables
Proposition 12 Réunie autour du ministère de l’intérieur un groupe d’experts chargé de l’inventaire des normes en vigueur et des zones grises qu’elles comportent.
Axe 3 Renouer avec une politique volontariste
Mais, pour faire face aux défis de l’islam en France, le droit seul ne suffit pas. La loi est un outil qui demeure insuffisant s’il n’est pas soutenu par une volonté politique claire et affirmée. Mettre fin à plusieurs décennies de revendications communautaristes réclame du courage et de la constance. Ainsi, qu’il s’agisse du voile (burqini, voile pour les mineures, voile intégral), des liens entre l’État et le culte musulman (sur laquelle il convient d’en finir avec la relation quasi exclusive avec le CFCM et privilégier les structures locales reconnues et contrôlées), de la lutte contre la radicalisation dans les services publics ou de l’influence délétère de certaines instances internationales, la mise en œuvre d’une politique enfin volontariste et énergique permettra d’inverser la tendance.
Proposition 13 Sanctionner le refus d’une majeure d’enlever son voile dans l’espace public
Proposition 14 Interdire le port du burkini dans l’espace public
Proposition 15 Interdire le port du voile pour les mineures
Proposition 16 Durcir les peines contre le port du voile intégral.
Proposition 17 Cesser de considérer le Conseil français du culte musulman comme un interlocuteur efficace et représentatif
Proposition 18 Développer la présence de l’État auprès des associations et des mosquées
Proposition 19 Prendre comme interlocuteurs des structures contrôlées
Proposition 20 Établir un registre d’identification des imams
Proposition 21 Face au risque de radicalisation procéder à une enquête administrative systématique pour les recrutements dans les domaines sensibles pour les emplois publics et privés.
Proposition 22 Renforcer les moyens des services chargés des enquêtes afin de réduire à deux ans la durée entre deux contrôles et effectuer des « criblages » systématiques en cas de changement de situation (mutation, mariage…)
Proposition 23 Élargir le champ des contrôles obligatoires aux personnes en contact avec les mineurs et les personnes vulnérables.
Proposition 24 Résister aux pressions idéologiques, politiques et diplomatiques du Comité des droits de l’Homme de l’ONU
Proposition 25 Dénoncer la politique de la Cour Européenne des droits de l’homme tant qu’elle ne valide pas l’incompatibilité de la Charia avec la Convention.
Axe 4 Garantir une réelle liberté de conscience
Force est de constater qu’en trente ans, de l’affaire Rushdie aux attentats de 2015, la liberté de conscience et la liberté d’expression ont reculé en France. Qui aurait cru que dans la France d’aujourd’hui, la pertinence d’un retour à un délit de blasphème serait évoquée à l’Assemblée nationale, des chercheurs ne se risqueraient pas à étudier l’islam avec l’œil critique du scientifique, l’autocensure éditoriale serait de mise dans certains médias et des journalistes seraient assassinés pour avoir moqué cette religion ? Il est temps de mettre fin à cette reculade insupportable et indigne. C’est la raison pour laquelle nous proposons que la France protège et accueille les « apostats » et les convertis menacés à travers le monde et favorise la recherche historico-critique sur l’islam.
Proposition 26 Assurer la protection des « apostats » et des convertis en France
Proposition 27 Accélérer la naturalisation des « apostats » et des convertis menacés.
Proposition 28 Créer un centre d’accueil et d’hébergement des auteurs et chercheurs menacés
Proposition 29 Mettre les outils de la recherche publique (CNRS INALCO, Documentation française) au service de la recherche historico-critique sur l’Islam.
AXE 5 Faire aimer la France
Si la mise en œuvre des précédentes mesures est indispensable, nous savons que le problème est plus profond. L’islam, sa présence et sa visibilité accrues en France, les problèmes qu’il pose, sont aussi révélateurs d’une crise d’identité qui les dépasse. Des décennies de multiculturalisme honteux et sa faillite aujourd’hui avérée ont plongé la France et les Français dans l’inquiétude, le doute, parfois la détestation d’eux-mêmes. Que faire ? Suivre le sage conseil de Simone Weil : « de remède, il n’y en a qu’un. Donner aux Français quelque chose à aimer. Et leur donner d’abord à aimer la France ». Vaste programme qui réclame de retrouver le chemin d’une intégration exigeante. Une intégration qui passe par l’éducation (enseignement de l’histoire de France et du fait religieux et meilleure connaissance du patrimoine et de l’histoire des territoires où vivent les élèves) et le renforcement du lien social (promotion de l’engagement de la jeunesse et de la place des femmes dans le processus d’intégration).
Proposition 30 Repenser l’enseignement de l’histoire à l’école en privilégiant un enseignement chronologique, concret et incarné
Proposition 31 Intégrer à la scolarité des visites culturelles et patrimoniales locales, afin que les élèves s’approprient la culture du territoire où ils vivent.
Proposition 32 Intégrer l’enseignement du fait religieux de manière transverse dans toutes les disciplines scolaires
Proposition 33 Utiliser les ressources du travail manuel pour s’inscrire dans une filiation
Proposition 34 Intégrer à la scolarité des temps de bénévolat (dans les domaines de la solidarité, de l’environnement et de la culture) au service de l’intérêt général
Proposition 35 Placer les femmes au centre du processus d’intégration en promouvant des initiatives locales de formation au français, d’accompagnement vers l’emploi et d’initiation culturelle
Commentaires de MICA : Mon intention n’est pas de commenter les 35 propositions, mais seulement les plus importantes ou bien celles qui ont suscité chez moi les réactions les plus fortes. Et puis, nous consacrerons le temps nécessaire au cours des réunions de PRICIL à entrer dans le détail de chaque proposition.
Les propositions 1 et 2 ne devraient-elles pas être plutôt approuvées par référendum ? Personnellement, c’est ce que je préfèrerais après approbation définitive du texte par un groupe d’experts réuni par le Président de la République.
Dans la corbeille référendaire, j’ajouterai la proposition 3. Et pourquoi pas les 24 et 25 en raison de leur dimension internationale ? Pour la 24 un rappel de la tradition française pour l’émancipation individuelle pourrait être ajouté.
Je me sens particulièrement en phase avec sa critique des initiatives de l’essayiste KAROUI, notamment de sa vision essentiellement financière d’une éventuelle future organisation musulmane en France.