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Assemblée Générale du 28 09 2012
Rapport d’activité 2012
A propos de la laïcité d’hier à aujourd’hui
Le rapport d’activité se compose de deux parties
La première est un article de Jean Paul MARTIN « La Laïcité d’hier à aujourd’hui »
La seconde partie est un commentaire de cet article
Pourquoi avoir choisi cette méthode pour ce rapport ?
Jean Paul MARTIN apporte du neuf dans l’histoire politique de la laïcité. C’est pour cela qu’il faut lire intégralement cet article qui contient des éclairages vraiment nouveaux, en tous cas pour moi.
Dans une deuxième partie, nous essaierons de situer ces apports dans le contexte des travaux de PRICIL.
I- Première partie « La Laïcité d’hier à aujourd’hui » (Article paru dans le n° de juin 2012 de « Hommes et libertés » de la LDH)
Jean Paul MARTIN, maître de conférences Lille 3 (Groupe « Sociétés, Religions, Laïcités » (GSRL) Paris.
La loi de 1905 est considérée aujourd’hui comme le texte fondateur de la laïcité française(1). Il est pourtant tout aussi important de se référer, pour comprendre les enjeux actuels de la laïcité, à la constitutionnalisation de l’après-guerre, et au régime de compromis hérité de cette période.
La loi de 1905 est-elle devenue l’unique fondement de la laïcité ? A-t-elle eu par sa seule vertu, une portée pacificatrice sur le conflit entre la République anticléricale et les catholiques ?
Ces deux questions sont certes distinctes, mais dans la réalité elles se rejoignent, car l’interprétation de la portée de la loi de 1905, par les acteurs du conflit a varié en fonction des phases du conflit lui-même. (2) Au cours d’une première séquence, relativement longue, de son application, la loi de séparation n’a évidemment pas pacifié le conflit des deux France –centré, il faut le rappeler- sur la question scolaire-, elle l’a simplement transposé définitivement au plan de la société civile. Cette loi est en effet, le dernier acte de la législation laïque, dite « fondamentale », qui comprend aussi les lois scolaires des années 1880 et la loi de 1901 sur la liberté d’association. Elle a donc achevé cette législation en rendant les Eglises – et surtout l’Eglise catholique – entièrement maîtresses de leur destin et en les transformant en entités collectives, spécifiques, logées dans la société civile. Or, ce qui guide la politique laïque des républicains de l’époque, indépendamment de leurs divergences quant au contenu de la séparation, se résume à une formule du philosophe Charles RENOUVIER, écrite 30 ans auparavant : « La séparation de l’Eglise et de l’Etat, signifie l’organisation de l’Etat moral et enseignant »(3).
Autrement dit, seul l’Etat enseignant (comprenant l’école laïque et sa mouvance périscolaire déléguée à un secteur associatif) est capable, en se portant garant de la formation de la raison citoyenne, en devenant lui-même un pouvoir spirituel, de faire contrepoids à l’Eglise catholique, qu’il faut empêcher de dominer la société civile car elle relève d’un principe d’autorité, d’hétéronomie, contradictoire avec le principe laïque d’autonomie du citoyen. Le conflit laïques/cléricaux n’est rien d’autre que la traduction de cette opposition dans le domaine de l’Ecole et de la société. Mais il faut alors admettre que la conséquence en est de livrer les équilibres futurs de la laïcité à l’évolution des rapports de force au sein de la société civile, aux formes qu’allait y prendre la sécularisation et aux transformations des relations entre les adversaires/partenaires du conflit.
A cet égard, un moment mérite attention car son importance sous l’angle de la politique de laïcité, est encore aujourd’hui largement étrangère à la mémoire laïque : la Libération.
La laïcité devient alors un principe constitutionnel (en 1946) et simultanément, la République laïque accepte de financer les mouvements de jeunesse confessionnels. Ces deux innovations ont permis, à moyen terme, de déboucher sur de nouveaux compromis laïques, de réorienter autrement le conflit, et de compléter le cadre juridique de la laïcité.
Laïcité de l’Etat, laïcité de l’école
Le fait majeur qui est au centre de la constitutionnalisation est le ralliement de l’Eglise catholique et de la démocratie chrétienne à l’idée de laïcité de l’Etat, entendue par le député MRP Maurice SCHUMANN – selon une formulation largement validée au cours du débat par les parlementaires de la gauche communiste et socialiste – comme neutralité ou impartialité des pouvoirs publics à l’égard de toutes les Eglises, familles spirituelles et familles philosophiques(4).
Toutefois cela n’impliquait nullement une avancée comparable sur la laïcité de l’Ecole, au sens ou les laïques l’entendaient à l’époque (notamment absence de financement public des écoles privées confessionnelles). Au contraire, pour l’Eglise et le MRP, l’impartialité de l’Etat laïque aurait pu le conduire à traiter équitablement les écoles privées et les écoles publiques (5)
De sorte que la discussion constitutionnelle s’est polarisée sur la liberté de l’enseignement, principe défendu par les catholiques et combattu par la gauche laïque, cette dernière faisant de l’enseignement une « fonction sociale » déléguée par l’Etat et voyant dans la liberté de l’enseignement, un état de fait et non une liberté fondamentale équivalente aux grandes libertés publiques, de réunion, d’opinion ou de conscience . (6)
Conséquence paradoxale de cette situation : l’inscription de la laïcité de la République a fait l’objet d’un accord unanime, mais sans que soit donnée la moindre définition de la notion, ce qui cachait un (dés)accord beaucoup plus significatif sur la liberté de l’enseignement ! En tout état de cause, la référence à la loi de 1905 (en particulier à son article 2 sur le financement des cultes) a été évacuée à la fois du texte adopté et du débat.
Quant au subventionnement des mouvements de jeunesse, le principe acquis à Alger en 1944, lors des débats sur l’Assemblée consultative et la notion « d’agrément » en a ensuite été confirmé à plusieurs reprises par les plus hautes autorités de la République – notamment René CAPITANT, ministre de l’Education Nationale en 1945 et Pierre BOURDAN, ministre de la Jeunesse en 1947. Il repose sur une distinction fondamentale entre la dimension éducative d’un mouvement – que l’Etat peut aider en tant que contribution à une tâche d’intérêt général, dont il peut évaluer la qualité ou l’utilité sociale – et son orientation religieuse sur laquelle l’Etat n’a pas à intervenir, sauf pour veiller à ce qu’elle ne soit imposée à personne (une condition qui a pu certainement parfois poser problème) et à ce que le mouvement reste ouvert à tous publics.
Nouveaux compromis au sortir de la guerre.
C’est cette distinction qui a permis de subventionner la jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), la jeunesse étudiante chrétienne (JEC), comme quantité d’œuvres sociales confessionnelles, et qui s’appliquera plus tard aux écoles privées sous contrat, dans le cadre de la loi DEBRE : un « caractère propre » confessionnel, est ici distingué de l’enseignement, donné dans les mêmes conditions que dans les écoles publiques, avec des conditions d’accueil qui ne doivent discriminer personne sur une appartenance religieuse.
Il est clair qu’à la libération et dans les années qui ont suivi, les militants laïques se sont vivement opposés à cette interprétation nouvelle de la laïcité, compatible avec une aide publique à la sphère éducative confessionnelle, car elle portait atteinte à leur vision fondamentale de «l’Etat moral et enseignant » (lequel toutefois, n’avait jamais été doté du monopole de l’enseignement)
Il n’en reste pas moins que ces nouveaux compromis étaient l’expression à la fois du climat hérité de la guerre et de la résistance, du « repositionnement » des catholiques et de la nouvelle mixité du privé et du public en train d’advenir sous l’égide de « l’Etat-Providence » (7)
« Reconnaissance indirecte » du religieux
Ces compromis se sont donc opposés à tous les acteurs, sans être intégrés au « récit laïque » lui-même. Combinées avec la loi de 1905 et son évolution jurisprudentielle (8), il y avait, dans les nouvelles dispositions de l’après-guerre, des compléments ou des précisions apportées à la laïcité, qui ont permis de faire passer définitivement celle-ci d’une laïcité d’indifférence ou d’ignorance à l’égard du religieux (teintée d’une hostilité latente à l’égard du catholicisme) (9), à ce que j’appelle une « reconnaissance indirecte du religieux ». On a pu parler à ce propos de « catho-laïcité ». Mais cette expression méconnaît la relative cohérence d’un dispositif qui vaut pour toutes les religions à l’œuvre sur le territoire national. La reconnaissance indirecte est en effet à distinguer nettement des cultes reconnus, qui prévalait avant 1905, ou des systèmes analogues qui régissent peu ou prou aujourd’hui, les pays voisins de la France et qui relèvent davantage d’un processus de reconnaissance directe. A l’examiner attentivement, ce dispositif se décline d’ailleurs de deux manières différentes, selon qu’il s’applique aux religions proprement dites (sous leur aspect cultuel), ou aux activités (sociales, éducatives, sanitaires, culturelles…) inspirées par une religion.
Dans le premier cas, les subventions demeurent proscrites. Mais il ne s’agit pas là de « sanctionner » les religions, plutôt les inciter à se recentrer sur leur mission spirituelle, ce que des minorités catholiques ont compris assez vite en faisant signe vers la laïcité comme « condition de la liberté de l’acte de foi ». L’interdiction des subventions directes n’empêche d’ailleurs nullement quelques dérogations, ou des aménagements dès lors que la liberté religieuse (qui est constitutive, rappelons-le de la liberté de conscience) est susceptible d’être mise en cause (10), ou paraît nécessiter un coup de pouce pour en assure le respect indiscutable (11). Mais on reste ici dans le cadre d’un droit liberté, bien que la liberté religieuse présente incontestablement un caractère collectif.
La laïcité invoquée comme un interdit
Dans le second cas, celui des activités profanes d’inspiration religieuse, on passe du droit-liberté au droit-créance, dans la mesure où la société attend désormais de l’Etat-Providence qu’il satisfasse aux besoins sociaux fondamentaux d’ordre éducatif ou culturel. Des associations ou institutions confessionnelles peuvent alors entrer dans un cadre d’utilité sociale sous réserve du respect, au moins formel, des grands principes laïques (liberté de conscience, accueil de tous, égalité des usagers…). Incontestablement, cela amène l’Etat à se rapprocher des religions, et à prendre le risque de « brouiller » la netteté des principes de laïcité, d’encourager la formation d’une «zone grise », tout en incitant discrètement à une sécularisation des comportements religieux (12)
Comment envisager, dans la phase de laïcité où nous entrons, le devenir de reconnaissance indirecte des religions ? Aujourd’hui deux menaces semblent se profiler. La première vient des tendances lourdes qui poussent à l’alignement du modèle français sur une sorte de norme européenne, alors que le statut des religions dans l’Union Européenne fait partie du domaine de la subsidiarité. (13) La seconde résulte de la tendance à instrumentaliser la laïcité dans le sens d’une méfiance systématique à l’égard des musulmans, sous couvert de lutte contre l’islamisme ou le communautarisme.
Ce repositionnement actuel effectue, sans le dire, une révision radicale de la laïcité historique fondée sur la loi de 1905 et les compromis de l’après-guerre.
D’abord, il met en avant une exigence de laïcité des personnes et de leur apparence vestimentaire dans l’espace public, qui n’a jamais existé à ce degré autrefois (14) Mais on s’aperçoit aussi que cela commence à entraîner des conséquences inédites, plutôt exorbitantes, au plan des institutions. C’est le cas avec la loi sur la petite enfance, adoptée en janvier 2012 au Sénat (15), ou encore avec les projets du Haut Conseil à l’Intégration, visant à étendre la neutralité religieuse dans les entreprises privées (16) Dans tous ces exemples, au nom de menaces supposées, la laïcité est invoquée presque exclusivement comme un interdit, imposant à des professionnels ou à des bénévoles, toujours plus nombreux, une obligation de neutralité religieuse, jusque là réservée aux seuls fonctionnaires ou agents publics. En tournant le dos aux compromis de la phase précédente et en éliminant la « zone grise » espère-t-on vraiment que la laïcité sera encore capable de garantir le vivre ensemble, dans une société marquée par l’extension du pluralisme religieux et culturel ?
(1) La loi de 1905 fait partie pleinement de la mémoire laïque, surtout depuis son centenaire, relativement consensuel de 2005, Rappelons que la loi de 1905 a jeté les bases d’un régime de séparation reposant sur la proclamation du respect de la liberté de conscience (dont la liberté religieuse est une dimension) et sur le principe selon lequel « la République ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte » (art.2).
(2) En outre, le problème s’est trouvé momentanément compliqué par le refus de PIE X de reconnaître les associations cultuelles, ce qui a créé, jusque dans les années 20, un « conflit dans le conflit ».
(3) Cité par Marie-Christine BLAIS « Au principe de la République, le cas RENOUVIER (Gallimard 2000 p.329).
(4) La formule centrale de Maurice SCHUMANN est la suivante : « Par laïcité, nous entendons d’abord que l’Etat se refuse à l’immixtion des autorités religieuses et des clans philosophico-politiques dans les affaires et dans le domaine qui lui sont propres. La laïcité de l’Etat signifie son indépendance vis-à-vis de toute autorité qui n’est pas reconnue par l’ensemble de la nation, afin de lui permettre d’être impartial vis-à-vis de chacun des membres de la communauté nationale.
(5) C’est ce que disait, lui aussi, Maurice SCHUMANN : « En votant pour la laïcité, nous votons en même temps pour la séparation, entendue en son vrai sens, en même temps pour la neutralité, c’est-à-dire contre toute philosophie d’Etat, pour la liberté de conscience, c’est-à-dire pour la liberté de l’enseignement.
(6) Sur ce point des interventions convergentes de plusieurs leaders de gauche.
(7) Celui-ci voit se multiplier les formules mixtes : aides publiques aux activités privées, délégations de services publics, missions d’intérêt général…
(8) Le rôle du Conseil d’Etat a été essentiel pour interpréter la loi à chaque fois dans un sens plus libéral à l’égard des cultes, tout en maintenant avec vigilance le non financement direct de ceux-ci.
(9) On pourrait cependant remarquer que, dès l’origine, la loi de 1905 ne fut pas indifférente au « religieux », puisqu’elle autorisa chaque religion à s’organiser selon ses règles propres : Objet de l’article 4, très disputé entre républicains, c’était ne pas être aveugle ou indifférent aux religions et à leurs différences entre elles.
(10) La loi de 1905 en donne elle-même un exemple significatif, en inscrivant au budget de l’Etat, les dépenses d’aumônerie dans les lieux « fermés »
(11) Peuvent entrer dans cette catégorie les baux emphytéotiques permettant de faciliter l’acquisition de terrains pour les édifices religieux, ou les déductions fiscales pour les dons des particuliers aux Eglises.
(12) Ces critères se trouvent parfaitement exprimés dans une lettre-circulaire de la CNAF du 26/07/2002. « Les aides financières des CAF peuvent bénéficier aux associations sous réserve que celles-ci n’aient pas de vocation exclusive de diffusion philosophique, politique, syndicale ou confessionnelle, qu’elles s’adressent sans discrimination à tous les publics, et qu’elles proposent des activités ouvertes à tous, s’appuyant sur un projet éducatif de qualité ». Cette lettre a pourtant conduit certaines caisses départementales, au refus du remboursement des bons-vacances à des centres de vacances organisés par des associations protestantes agréées. Un tel épisode montre à quel point la compréhension de la législation laïque, permettant dans certaines conditions, une aide publique à des activités d’inspiration religieuse, fait défaut.
(13) La « laïcité positive » de Nicolas SARKOZY, les propositions de la Commission MACHELON (2006) vont dans ce sens ainsi que la tendance de nombreux juristes à considérer que l’article 2 de la loi de 1905 n’a pas de valeur constitutionnelle.
(14) Les enjeux d’autrefois portaient avant tout sur les institutions, avec notamment les batailles liées aux subventions.
(15) Cette loi, proposée à l’origine par le parti radical de gauche, non seulement obligerait, si elle était confirmée par l’Assemblée Nationale, « les assistantes maternelles à mentionner explicitement dans le contrat d’embauche, le port de signes religieux à leur domicile, (ce qui semble peu compatible avec le respect de la vie privée), mais elle entraînerait aussi la neutralité religieuse absolue des crèches privées dans tous les cas où elles reçoivent des fonds publics (et même dans certains cas, ou elles n’en reçoivent pas) sauf à adopter un statut à part découlant d’un caractère propre, calqué sur le modèle des écoles de la loi Debré.
(16) Avis du HCI « Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise ». (2011)
II- Commentaires PRICIL sur l’article de Jean Paul MARTIN
Reprise des points principaux
Articulation cultes/enseignement
L’histoire de la loi de 1905 est connue, tant du point de vue de ses origines historiques lointaines et immédiates que du point de vue juridique contemporain, avec la jurisprudence du Conseil d’Etat. Mais son texte ne traite que des cultes et seulement très accessoirement de l’enseignement (à travers les aumôneries des lycées).
Or, on sait le rôle structurant que « la guerre scolaire » a joué dans le débat laïque de la deuxième moitié du XXe siècle. C’est dans la compréhension de cette articulation cultes/enseignement que le présent article apporte un éclairage décisif.
Le compromis passé entre forces politiques opposées lors de la « fabrication constitutionnelle » de la République laïque à la Libération est à cet égard essentiel. Or, cette histoire reste beaucoup moins connue et le mérite de Jean Paul MARTIN est de nous la raconter.
Législation laïque fondamentale
L’appellation de « législation laïque fondamentale » est fort pédagogique. On a le sentiment de passer d’une laïcité d’ignorance à une laïcité d’intelligence.
Les fondements concernent aussi bien l’enseignement (lois de 1880) que les cultes (loi de 1905 dans la ligne de la DDHC de 1789).
La finalité de cette législation est la recherche de l’autonomie de l’individu, son émancipation.
La religion catholique dominante est jugée porteuse d’hétéronomie, c’est-à-dire d’opposition à l’autonomie individuelle.
La République va donc chercher à libérer l’individu, d’abord par l’enseignement, en créant une école seulement laïque, c’est-à-dire non confessionnelle –ce seront les lois de 1880, dites FERRY – ensuite par l’exaltation de la liberté de conscience, dont la liberté de culte (1) est une dimension, par la loi de 1905.
Avec cette politique « libérale », la France devenait ainsi la patrie des droits de l’homme.
C’est sur ce terrain que PRICIL a élaboré ses questionnements fondamentaux sur laïcité et laïcisation.
(1)L’expression liberté de culte me paraît plus juste que celle de liberté religieuse, d’abord en raison du texte de la loi de 1905, ensuite parce que une religion peut comporter d’autres dimensions que les rituels et cérémonies religieuses caractérisant un culte. Cet aspect sera développé plus loin.
Etat moral et enseignant
Rappel du texte de Jean Paul MARTIN
Or, ce qui guide la politique laïque des républicains de l’époque, indépendamment de leurs divergences quant au contenu de la séparation, se résume à une formule du philosophe Charles RENOUVIER, écrite 30 ans auparavant : « La séparation de l’Eglise et de l’Etat, signifie l’organisation de l’Etat moral et enseignant ».
Autrement dit, seul l’Etat enseignant (comprenant l’école laïque et sa mouvance périscolaire déléguée à un secteur associatif) est capable, en se portant garant de la formation de la raison citoyenne, en devenant lui-même un pouvoir spirituel, de faire contrepoids à l’Eglise catholique.
On voit jetées ici les bases de plusieurs contradictions et sources de conflits ultérieurs :
Retenons-en trois :
L’Etat peut-il exercer un monopole moral et enseignant éducatif, contrairement aux souhaits de CONDORCET, formulés dans son rapport sur l’Instruction Publique en 1792 ?
L’Etat est-il neutre et impartial, comme en matière de cultes, ou bien est-il dépositaire d’un pouvoir spirituel en tant qu’Etat moral et enseignant, qui ne peut être ni neutre, ni impartial ? (voir sur site article morale laïque 10 08 2012, ainsi que les annonces récentes par le ministre PEILLON)
Quels sont les rapports entre Etat et société ? L’Etat doit-il tout faire lui-même ou reconnaître un rôle à la société civile, notamment dans les actions d’enseignement ? Le financement public est-il réservé aux entités administratives de droit public ou peut-il s’étendre aux missions de service public portées par des structures de droit privé ? Le propos sur « la mouvance périscolaire déléguée à un secteur associatif » oriente déjà la réponse.
Laïcité de l’Etat, laïcité de l’école
Constitutionnalisation de l’Etat laïque à la LIBERATION et compromis ultérieurs.
A la Libération, ce qui était susceptible de fâcher les forces politiques a été délibérément glissé sous le tapis, au nom de l’unité de la République et de la nécessité de reconstruire le pays.
C’est ainsi que la loi de 1905 n’a nullement servi de référence aux débats qui se sont polarisés sur l’enseignement.
Dans ce contexte, où est passé le pouvoir spirituel de l’Etat ? Glissé sous le tapis, lui aussi.
L’expérience montre que le pouvoir spirituel ne peut pas naître au sein de l’Etat. Ses institutions peuvent le mettre en œuvre, mais il doit émerger dans la société au sein de ses forces politiques. Exemple de la doctrine WASP aux USA, ou même des hauts fonctionnaires protestants, autour de F.BUISSON, lors de la mise en place de l’école FERRY.
Englué dans un débat idéologique et politicien, le débat sur la nature de l’enseignement –liberté fondamentale ou « fonction sociale »- était justifié, mais il était particulièrement difficile à conduire aux deux niveaux concernés :
– Celui des responsabilités respectives des parents et de la collectivité nationale qui, de fait, se partagent simultanément la fonction sociale d’enseignement vis-à-vis des enfants, les parents principalement pour l’éducation, l’Ecole principalement pour l’instruction. Mais cette notion de partage des responsabilités a été occultée, la guerre scolaire entre public et privé ayant occupé tout l’espace du débat.
– Celui du financement, privé ou public, de l’enseignement délivré à l’école, ou le slogan « Ecole privée, fonds privés, école publique, fonds publics » a tenu longtemps le premier rôle du fait de la force de son extrême simplicité.
Au passage, on peut noter aujourd’hui le caractère artificiel de ce débat, qui présupposait une opposition entre liberté individuelle et fonction sociale des parents. Il est vrai que c’était avant l’extension des libertés individuelles démocratiques (1968) et la chute des régimes collectivistes de l’est de l’Europe, que la fin du XXe siècle a connues.
Aujourd’hui, la question ne se pose plus ainsi. Les enseignants, surtout ceux confrontés aux difficultés liées à la sociologie des élèves et de leurs parents dans certains quartiers, cherchent à associer les parents à l’éducation de leurs élèves. Par ailleurs, au niveau collectif, la loi DEBRE de 1959 a créé les écoles sous contrat d’association, le Conseil d’Etat s’assurant que la parité de financement des frais administratifs non exclusivement scolaires est respectée entre établissements des deux types. De nombreux arrêts de cette jurisprudence ont été examinés lors des travaux de PRICIL.
Les compromis passés depuis la Libération entre l’Etat et des organisations de la société issues ou non de mouvements confessionnels, ont abouti à ce que Jean Paul MARTIN nomme «une reconnaissance indirecte » du religieux.
« Reconnaissance indirecte » du religieux et « récit laïque »
Remarque : Cette expression de « reconnaissance indirecte du religieux » est valide au plan psycho-politique. Le discours politique dominant s’est en effet toujours appuyé sur une interprétation primaire de la phrase « la République ne reconnaît aucun culte » (art. 2 de la loi de 1905).
Mais les travaux de PRICIL ont mis en avant que, juridiquement, il fallait interpréter « non reconnaissance » par « non distinction » et que si la République ne reconnaissait aucun culte, elle n’en ignorait aucun non plus. C’est l’impartialité de l’Etat vis-à-vis des cultes qui est ici concernée. C’est l’Etat arbitre qui est visé par cette phrase et non un Etat ignorant ou indifférent. Mais ce débat n’est pas vraiment terminé, ce qui illustre le retard français.
Cette remarque souligne la difficulté, lorsqu’on évoque la politique, de savoir si l’on parle du discours dans la société, ou de la politique institutionnelle : lois, règlements et politique contractuelle.
L’histoire de la laïcité permet de constater la contradiction entre les deux.
Peut-on se contenter de cette situation de « reconnaissance indirecte » où la particularité laïque de la France, en Europe par exemple, reposerait sur une incapacité à assumer son histoire et les visions philosophiques et juridiques qui lui seraient associées ?
« Ces compromis se sont donc opposés à tous les acteurs, sans être intégrés au « récit laïque » lui-même. »
Le « récit laïque » est en effet resté très pauvre. C’est pour le connaître que PRICIL a été créé. L’invocation rituelle de la loi de 1905, donnait l’impression que le débat laïque faisait du « sur place » en méconnaissant des dimensions essentielles de la politique récente.
En fait, pour les forces majoritaires à gauche, la référence permanente à la loi de 1905, ne signifiait pas autre chose que son instrumentalisation au service d’une posture politique contre l’enseignement privé.
La catho-laïcité et l’identité française
Rappel de la phrase : « On a pu parler à propos des compromis d’après Libération de « catho-laïcité ». Mais cette expression méconnaît la relative cohérence d’un dispositif qui vaut pour toutes les religions à l’œuvre sur le territoire national. »
L’expression de « catho-laïcité » semble justifiée.
Comme l’indique le présent article sur le compromis politique passé à la Libération, c’est bien entre la gauche, alors dominée par le parti communiste et l’Eglise catholique et le parti MRP qui en est issu, qu’il a été conclu. Toutes les évolutions ultérieures ont bien sûr profité à toutes les religions, restées d’ailleurs très minoritaires, mais ce sont les milieux catholiques qui ont joué le rôle moteur.
Cette situation a duré jusqu’à l’arrivée des musulmans facilitée par le regroupement familial décidé dans les années 1970, et visible pour l’opinion dans les affaires de foulards à l’école nées à la fin des années 1980.
Cette origine historiquement conflictuelle de l’identité française, fille aînée de l’Eglise, mère patrie des Lumières, pourrait s’avérer précieuse, à l’avenir.
Elle est l’équivalent de la WASP américaine.
Elle devrait faire l’objet d’un travail de la société française sur elle-même dans les temps prochains.
La « zone grise » de la laïcité. Les religions et le financement public. Les droits libertés et les droits créances.
Par « zone grise » on entend la coexistence dans les relations entre religions et Etat de deux situations, celle du non financement public direct des cultes et celle du financement quasi-contractuel d’activités annexes (enseignement, travail social…)
Aujourd’hui, on aurait, me semble-t-il, tendance à parler de « partenariats public/privé » entre Etat, collectivités locales et organisations collectives issues des confessions. Le positionnement contractuel brouille effectivement l’idée d’une séparation radicale. Pourtant, l’Etat ne peut se priver d’entretenir des relations avec des organisations voulant conduire des actions d’intérêt général, utiles à la société.
Une remarque au passage : La phrase de l’auteur selon laquelle le non financement des activités cultuelles serait, pour les religions, non une sanction, mais plutôt une « incitation à un recentrage sur leur mission spirituelle », est inédite.
Juridiquement, aucune incitation n’a jamais été associée à l’interdiction légale de financement direct des cultes. La loi de 1905, qui a expulsé les cultes de la sphère étatique, s’est appliquée. Que des milieux catholiques en aient tiré les enseignements en interprétant la laïcité comme une « condition de la liberté de l’acte de foi », n’est pas un phénomène nouveau. C’était la position des catholiques libéraux qui avaient déjà demandé au XIXe siècle la séparation des Eglises et de l’Etat.
Mais il est vrai aussi qu’au cours du débat sur la loi de 1905, certains hommes politiques avaient évoqué « la morne langueur des cultes salariés ».
Une distinction de philosophie juridique est ici mentionnée. Les droits-libertés et les droits créances.
Les droits libertés sont les droits fondamentaux attachés à la personne individuelle. Leur exercice est en principe garanti par un Etat libéral.
Les droits créances sont liés à une politique financière publique, ils sont plutôt de type contractuel – les écoles sous contrat d’association. Une organisation réalise des actions, qui entrent dans les programmes politiques et donc budgétaires de l’Etat qui la finance. Le droit créance est celui d’être rémunéré par l’Etat.
Mais, affirme l’auteur, à propos du doit d’exercer son culte, donc non finançable sur fonds publics, on reste ici dans le cadre d’un droit liberté, bien que la liberté religieuse présente incontestablement un caractère collectif.
Cette réflexion pose question. L’auteur évoque un droit-liberté à caractère collectif, sous-entendu, celui de la communauté religieuse concernée. Est-ce à dire qu’un droit-liberté ne peut, en principe, concerner que la personne individuelle ? Qu’il n’y aurait de reconnaissance d’une liberté collective qu’à travers un droit- créance, une relation contractuelle et un financement public ?
Cela mériterait d’être vérifié.
Car si l’exercice du droit de culte qui est un droit-liberté collectif, et qu’il soit le seul dans cette catégorie –les autres droits collectifs étant des droits-créances – on ne manquerait pas de s’interroger sur la justification d’une telle exception. (Question liée éventuellement à la révision constitutionnelle sur la laïcité)
Ici, on aborde la difficulté du sens des mots : Devrait-on parler de liberté religieuse ou simplement de liberté de culte, seule visée par la loi de 1905 ?
Les pratiques religieuses sont-elles protégées par notre droit comme le culte et ne faut-il pas faire une distinction entre pratiques religieuses et cultes ?
Les prolongements post-Libération ne concernaient pas les pratiques religieuses, mais les engagements sociaux à partir des religions.
Quant aux pratiques religieuses, qui sont à la fois « hors culte » et « hors œuvre d’intérêt général pour la société », quel est leur statut et qui doit décider de leur légalité et de leur acceptabilité sociale ? (Circoncision, viande hallal…..)
Une première conclusion s’impose. La politisation des questions d’enseignement à la Libération a empêché la France de célébrer sa laïcité fondamentale acquise depuis 1905, notamment à l’occasion du centenaire de la loi, qui a donné lieu à un consensus mou, sans véritable retentissement pédagogique, à une époque où la loi d’interdiction du voile à l’école avait la vedette (2004).
Notre pays reste toujours dans l’indétermination pour savoir ce qu’est « SA laïcité ».
Il n’est donc pas question pour lui d’envisager de communiquer sur les dimensions universelles de cette valeur, ce qui serait pourtant facile, en reprenant les textes de notre « laïcité fondamentale ».
PRICIL s’y est attelé avec ses » questionnements ».
Ce qui se prépare actuellement au M.E.N. (groupe de travail Education, laïcité, réforme constitutionnelle) va, nous l’espérons, relancer le débat. (voir l’annonce de l’enseignement de la morale laïque à l’école, par le Ministre article enregistré sur site le 03 /09/2012)
La laïcité invoquée comme un interdit
Dans une dernière partie de sa note, Jean Paul MARTIN se montre inquiet sur l’évolution des principes laïques vers une méfiance systématique à l’égard de l’islamisme et du communautarisme, en oubliant l’apport de la loi de 1905 et ses prolongements depuis la Libération.
PRICIL a déjà abordé ces questions plusieurs fois, la dernière lors de sa réunion du 21 avril 2012. Nous n’y reviendrons pas, sauf pour signaler que nous partageons les craintes de Jean Paul MARTIN que la France balance par-dessus bord son acquis historique de laïcité.
Ces domaines sont étudiés par PRICIL dans le cadre de l’analyse de l’actualité, qui est un des pôles structurants du travail de notre association. Cette actualité qui va de plus en plus vite avec des médias qui représentent un pouvoir aussi puissant que dangereux à la fois par son inconsistance et inconstance.
Pour ne pas trop charger le programme de notre AG 2012, je vous propose donc de renvoyer l’analyse des évènements récents à nos prochaines réunions mensuelles.
Une simple liste de titres d’évènements figurera en annexe du rapport.
EUROPE
Evènements par pays.
Danemark : 11/6/12 – LA CROIX – MONDE
Le Danemark contraint l’Église luthérienne à célébrer des mariages homosexuels
En République tchèque, l’Eglise catholique va retrouver son patrimoine
Le projet de loi sur les restitutions de biens immobiliers des Églises va être examiné par le Sénat tchèque et pourrait entrer en vigueur en septembre. LA CROIX 10/06/12
Royaume – UNI
Menaces sur la CEDH. Droit de vote des détenus
ISLAM
–France
– Mosquée de Strasbourg
Enfin, on a une vraie mosquée à Strasbourg ! »N.OBS Com 20 07 2012 Au premier jour du ramadan, le bâtiment flambant neuf a ouvert ses portes à des milliers de fidèles pour la prière.
– MARSEILLE
1) Contrôle femmes voile intégral. Emeute, blessures policiers, garde à vue commissariat, femmes relâchées sur ordre du procureur.
Silence médias.
2) Restaurateur attaqué pour ne pas avoir respecté le ramadan.
– GENNEVILLIERS
Colonies de vacances. Moniteurs ramadan. Etaient-ils en mesure de surveiller les enfants ?
– Jeux olympiques
Footballeuses et voile.
–Etranger
– Circoncision Allemagne
– Musulmans sénégalaisPourquoi les Sénégalais, musulmans à 95 %, ne posent aucun problème en France ?
Autres évènements
1) France : Le débat sur la laïcité refait surface dans les écoles alsaciennes dans la perspective de la constitutionnalisation de la laïcité
2) Proposition des DRH. Jours fériés origine autres religions.
– Naturalisation
Conformément à un décret paru fin janvier, les candidats à la naturalisation doivent, depuis dimanche, passer des tests de culture générale, au moment du dépôt du dossier. Les étrangers désireux d’acquérir la nationalité française, devront désormais remplir un questionnaire à choix multiples élaboré par un groupe d’historiens et d’experts et qui portera sur la géographie, la littérature et les monuments. Ce nouveau dispositif, inspiré des exemples allemand et britannique, avait été décidé par le précédent ministre de l’Intérieur, Claude GUEANT.
Il est contesté par des associations françaises. La CROIX 03/07/2012
– Lettre de Charlie Hebdo au président du CFCM.